Maladie que l’on croyait reléguée aux récits historiques de marins ou de soldats privés de nourriture fraîche, le scorbut connaît un retour préoccupant en France. En près d’une décennie, 888 enfants ont été diagnostiqués d’une carence sévère en vitamine C. Ce chiffre interpelle, non seulement pour son caractère inédit, mais surtout pour ce qu’il révèle des inégalités sociales et des conditions de vie des plus jeunes.
Symptômes, diagnostic et traitement
Le scorbut est une maladie grave causée par une carence prolongée en vitamine C, un nutriment essentiel pour le bon fonctionnement de l’organisme. La vitamine C joue un rôle clé dans la production de collagène, le renforcement des défenses immunitaires et la prévention des infections. Lorsqu’elle manque, les effets sur le corps peuvent être dramatiques.
Les symptômes du scorbut prennent forme autour d’une grande fatigue, associée à une faiblesse musculaire, des saignements au niveau des gencives, des hématomes spontanés, une anémie, et dans les cas les plus graves, des hémorragies internes pouvant entraîner le décès. Chez les enfants, la carence peut également entraîner des retards de croissance et des douleurs osseuses, augmentant encore les risques de complications.
Le diagnostic du scorbut reste compliqué, par la non spécificité de ses symptômes. Ils peuvent être confondus avec d’autres pathologies. Un retard dans l’identification peut conduire à une errance médicale. Une fois diagnostiquée, la maladie est facile à traiter grâce à une supplémentation en vitamine C. Une dose quotidienne d’environ 1 g par jour, administrée pendant au moins 15 jours, suffit généralement à améliorer l’état de santé du patient.
Forte augmentation des cas depuis 2020
Entre 2015 et 2023, les cas de scorbut ont augmenté de manière significative en France. Cette hausse, initialement de 0,05 % par mois, s’est brusquement accélérée à partir de 2020, atteignant une croissance de 1,9 % par mois. Cette évolution reflète une réalité sociale alarmante : le retour de cette maladie semble s’expliquer en grande partie par une augmentation des situations de précarité.
Les crises récentes, notamment la pandémie de Covid-19, ont aggravé la situation économique de nombreuses familles. La perte d’emploi, la hausse des prix des denrées alimentaires due à l’inflation et la guerre en Ukraine ont contribué à rendre les fruits et légumes, sources majeures de vitamine C, inaccessibles pour les ménages les plus modestes.


Selon les données de l’étude publiée dans The Lancet, près de 23 % des enfants hospitalisés pour scorbut depuis 2020 étaient en situation de malnutrition sévère. Le lien entre la précarité et la maladie est d’autant plus évident que la proportion d’enfants bénéficiant de la Couverture Maladie Universelle (CMU) a augmenté de 7 points sur la période étudiée.
Mesures de prévention
L’éducation à la santé est un levier important pour parvenir à enrayer cette résurgence du scorbut. Une alimentation variée et équilibrée, riche en fruits et légumes, reste la solution la plus efficace pour prévenir les carences. Mais pour beaucoup de familles précarisées, adopter de telles habitudes alimentaires n’est pas chose aisée.
C’est dans ce registre que les infirmières scolaires ont un rôle à jouer. Présentes au quotidien dans les établissements, elles sont bien placées pour détecter les signes de malnutrition ou de carence chez les élèves. Une fatigue inhabituelle, des ecchymoses fréquentes, des gencives qui saignent ; autant de signaux faibles qu’elles peuvent identifier rapidement.
Leur engagement ne s’arrête pas au diagnostic précoce. Elles peuvent sensibiliser les élèves et leurs familles à l’importance d’une alimentation riche en vitamine C et proposer des solutions accessibles. Des produits comme les pommes de terre, les choux ou encore les agrumes peuvent être intégrés à bas coût dans les repas, à condition d’en connaître les bienfaits et de s’approprier les modes de préparation.
Ces actions en santé communautaire, doivent s’appuyer sur tous les membre de la communauté éducative, au sens le plus large. Les infirmières scolaires peuvent par exemple, collaborer avec les enseignants pour intégrer des ateliers pédagogiques sur la nutrition dans le projet d’école ou d’établissement. Les collectivités de tutelle (Commune, Département, Région, État) peuvent proposer des financements ou des actions, qui doivent être intégrées au parcours éducatif de santé pour plus de cohérence.
Le retour du scorbut en France est un symptôme accablant des fractures sociales et des inégalités alimentaires. Derrière chaque cas se cache une réalité complexe, où précarité, crises économiques et difficultés éducatives s’entrelacent. Les infirmières scolaires, en première ligne face à cette problématique, ont une position stratégique dans la détection, la prévention et l’éducation.